Khadija Tnana : le corps féminin comme illustration de la violence faite aux femmes
L’artiste peintre Khadija Tnana est une militante de longue date pour la cause féministe au Maroc.
Ce leitmotiv, Khadija Tnana le reprend en peinture dans l’exploration du corps féminin. Ce corps est présenté invariablement nu, modelé en clair-obscur, en contrastes subtils sur l’échelle des noirs et des blancs, ou dans des tons ocres foncés, contrastés avec des beiges très clairs. Sa technique de prédilection est l’acrylique sur papier ou sur carton.
Au mépris de toutes les règles d’anatomie, l’artiste déploie à l’infini ce corps élancé, sinueux, distordu, comme en apesanteur, en suspension dans l’air, flottant dans l’eau. Les libertés que prend Khadija Tnana avec la figuration autorisent des mouvements amples, au rythme puissant de l’acte qui relie l’homme à la femme.
La liberté de forme est totale. Rien de statique ou d’étriqué dans ces silhouettes féminines, qui au contraire ondoient, se tordent, se fondent, vivent jusqu’au paroxysme. Le corps figuré par la plasticienne est disloqué par le désir, écartelé par la souffrance ; en ce sens il symbolise la violence faite aux femmes, une cause pour laquelle milite Khadija Tnana au sein d’associations.
Hélène Carrasco-Nabih, artiste peintre et critique d’art – avril 2020
A Propos de l’artiste
Née à Tétouan au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un Nord marqué par la rude domination espagnole, surtout franquiste, et les séquelles encore vives et douloureuses de la guerre coloniale du Rif, Khadija Tnana s’est très tôt frottée à l’urgence de l’engagement politique.
Ce prisme a libéré son esprit, ce qui lui a permis d’opérer une salutaire saisie de son corps propre, celui d’une femme prise en tenaille entre un héritage culturel oppressif et une posture moderniste qui promet la délivrance.
Peut-être est-ce pour servir la cause de ce corps longtemps emmailloté dans les strictes corsages d’une tradition patriarcale d’un autre âge que la peinture de Tnana est dépouillée, ramenée à l’essentiel.
Les figures féminines sont graciles et effilées, comme si elles étaient sculptées, depuis la fondation du monde, certes par cette finitude fatale qui gît au coeur de toute existence, mais aussi et surtout par cette violence phallocratique qui régit les normes et les formes sociétales.
Pourtant, les figures ne sont jamais ni pliées, ni arquées. Elles ne courbent jamais l’échine. Refus radical de toute forme de soumission. Dressées, debout, à hauteur d’homme, elles laissent advenir une stature digne qui sied à tout être… pleinement humain.
Khadija Tnana